
Et si la cruauté portait une tenue Hugo Boss, un badge RFID, un sourire enjôleur ?
Dans une tour d’affaires du 17ᵉ arrondissement de Paris, une entreprise prometteuse, brillante, se pavanait de valeurs humaines et de bien-être, entre deux OKR.
Pourtant, pendant ce temps, les chiffres dansaient : marge, croissance, productivité. Tout était ordre, tutoiement, esprit de décontraction et… manipulation.
C’est dans la salle du conseil que se jouerait la partie. Aucun état d’âme ne serait admis. Une réunion en comité restreint, presque liturgique, scellerait le sort de centaines de salariés. Un seul leitmotiv : devenir cash flow positif.
La meilleure des stratégies est de réduire les coûts. Quand on y pense, jouer sur la masse salariale est un jeu d’enfants. Une seule prérogative : pas de plan social.
L’évidence d’abord, limiter les recrutements, tenter l’expérience de la délocalisation en Inde, faire appel aux prestataires plutôt que proposer des CDI, rompre des contrats de licence, réduire le SaaS… et tant pis pour les outils (“Innovons pour la liberté”), ils se débrouilleront. Puis on musellera Peakon.
On ne licenciera pas, ce serait vulgaire, presque barbare. La méthode sera bien plus civilisée, bien moins coûteuse et bien plus perfide. On fera en sorte qu’ils partent d’eux-mêmes. Volontaires, usés, consentants comme des moutons qu’on a laissé ruminer trop longtemps.
À la place, le DAF orchestra ce qu’il baptisa dans une ironie glaciale, Hadès. Un bonus disparu ici, une évaluation injuste là, des PAP ici ou là, l’absence de projets stimulants, un budget ridicule d’augmentation et la dépossession du travail par l’IA.
Dans les tableaux Excel, on laissera au manager le soin de trancher. Choisir l’heureux élu, celui qui aurait su plaire aux chiffres autant qu’à la hiérarchie. Et tant pis pour les autres. Leur silence serait la preuve de leur acceptation ou de leur prochaine fuite.
On appelerait cela “méritocratie”.
“Lorsqu’une personne fait le tri entre ce qui est bon ou mauvais, bien ou mal, on dit qu’elle « sépare le bon grain de l’ivraie ». Le grain fait ici référence au blé et l’ivraie est une sorte de mauvaise herbe dont les graines peuvent être toxiques à haute dose.”
Le DAF souriait, une flûte de champagne à la main, célébrant chaque victoire dans une douce ivresse.
Avertissement : toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants (ou ayant existé) serait purement fortuite.