Légionella – Risque grave
01h47.
David est seul dans le data. Des diodes de serveurs clignotent, quelques bips.
La lumière est froide.
Partout ailleurs, c’est l’obscurité.
Il surveille le monitoring.
Il doit jongler entre sa to-do, les custo pour livrer les clients et les interventions.
Pour bien rester concentré, Il a déjà bu trois cafés.
Un vieil HG a trop chaud.
Il y va, sans attendre.
Il vérifie le waterblock : tuyau bouché.
L’eau ne peut plus circuler.
Le CPU chauffe.
Classique.
Alors, il ouvre le circuit, la pression se libère d’un coup.
Un jet de vapeur lui éclate à la figure.
Ça lui colle au visage, ses cheveux sont humides.
Le plastique et le métal sentent le cramé.
David cligne des yeux. Recule. Respire. Reprend son souffle.
Sa peau picote, mais il se dit que ce n’est que de l’eau.
Pas de fuite. Il est satisfait.
Il rédige son rapport.
Job done.
Quelques jours plus tard, fièvre. Gênes respiratoires.
Analyses : Legionella.
David fait vite le lien. L’eau stagnante dans les soucoupes des waterblocks, la chaleur, la vapeur brûlante qu’il a reçue en pleine face… tout concorde.
Le danger imperceptible est devenu concret, il se loge dans ses poumons.
Et les HSE ? Ils avaient dit qu’il n’y avait pas de danger. Ils n’ont même jamais pris la peine d’afficher les résultats d’analyse.
Le scénario était pour eux improbable, enfin, c’est ce qu’il disait : « pas de brumisation, on rentre dans l’hiver ».
Rien à signaler, tout à ignorer.
Il les avait crus.
Lui, qui se méfiait de chaque court-circuit, de chaque volt, en superposant trois paires de gants.
Il avait fait confiance en ceux censés protéger.
L’arrêt maladie fut transformé en accident de travail, non sans mal.
Quand la CGT demande des explications, la direction répond :
« Nous sommes dans les délais. »
Une phrase, sèche, froide, implacable.
Leur cabinet d’avocat dégaine l’article L.2312-8 du Code du travail : « Le CSE est informé et consulté sur les questions de santé, sécurité et conditions de travail… »
Aucune obligation d’information immédiate, concluent-ils.
Question d’interprétation.
Fin de non-recevoir.
Juste une compétence. À activer, plus tard.
Glaçant…
Une imprécision bien commode : juste assez de flou pour gagner du temps, ranger les tuyaux et les vieux waterblock.
Aucune photo. Aucun relevé.
La vapeur, elle, s’est volatilisée.
Ce n’est pas un accident isolé.
Les accidents industriels existent.
On se souvient tous encore du site Nestlé à Caudry : légionelles, alertes étouffées, procédures différées, économie de bouts de tuyaux.
ou de Norexo à Harnes, dans le Pas de Calais. La boîte a même fini par fermer.
Une même mécanique comme point commun : économiser quelques heures de maintenance.
Mais en ignorant les alertes, on finit par jouer avec la santé des gens.
Quand le réel frappe, un salarié malade,
on engage un cabinet d’avocats.
Cher, mais diaboliquement efficace.
Leur atout, tirer la loi au maximum de son interprétation, noyer les faits, intimider les témoins…
Le coût de la défense dépasse souvent celui de la prévention,
peu importe : dans ce modèle, la vérité n’est pas une priorité. La lenteur devient une stratégie.
Le délai n’est plus administratif : il est moral…
Ailleurs, pour éviter ce genre de merde, on n’utilise plus d’eau. On met du glycol.
Ça coûte un poil plus cher.
Profit first.
Une dernière question.
David va t’il mieux ?
…
Silence.
Avertissement : toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants (ou ayant existé) serait purement fortuite.
GLOSSAIRE :
Waterblock : Le waterblock est le composant qui, dans un watercooling vient remplacer les traditionnels ventirads présents dans chaque ordinateur.
Ventirad : Système de refroidissement à air.
Glycol : Les glycols sont des liquides incolores et visqueux utilisés dans diverses industries pour leurs propriétés de solvant ou de refroidissement.
NOTRE DECLARATION :
SOURCES :
https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED+4417
https://www.vidal.fr/maladies/voies-respiratoires/legionellose.html